Peer-to-peer: la grande alliance entre industrie du cinéma et FAI s’annonce difficile
Par Estelle Dumout
ZDNet France
Lundi 25 octobre 2004Réagissez à cet article.
Reportage - Après la musique, le cinéma. Le ministre de l’Industrie
et les fournisseurs d’accès s’opposent aux industriels. Les
premiers veulent développer des offres payantes de vidéo à
la demande; les seconds préfèrent s’attaquer, en priorité,
aux réseaux P2P.
BEAUNE - Avec l’augmentation vertigineuse des débits ADSL, les
inquiétudes de l’industrie française du cinéma redoublent.
Réuni à Beaune (Côte d’or) le 23 octobre, pour les
14es rencontres cinématographiques de la ville, l’ensemble de la
profession a découvert avec angoisse les performances de l’ADSL
2+, lancé la semaine dernière par Free.
Un exemple suffit à comprendre: le dessin animé Gang de requins,
qui a fait son apparition, en version française, sur le réseau
"peer-to-peer" eDonkey le 10 octobre (trois jours avant sa sortie
officielle), peut désormais être récupéré
en deux minutes. Depuis cette date, il a déjà été
téléchargé plus de 29.000 fois, a expliqué à
la salle indignée Frédéric Delacroix, délégué
général de l’Alpa (Association de lutte contre la piraterie
audiovisuelle). Il intervenait en introduction au débat intitulé
«Pour une nouvelle alliance entre les FAI et l’industrie cinématographique?».
Un débat auquel participaient deux représentants des fournisseurs
d’accès, Marie-Christine Levet, P-DG de Club-Internet et présidente
de l’AFA (Association des fournisseurs d’accès), et Michaël
Boukobza, directeur général d’Iliad, la maison mère
de Free – tous les deux désignés comme boucs émissaires.
Le filtrage des réseaux, mauvaise solution
L'alliance dont il est question est appelée de tous ses voeux par
le ministre délégué à l’Industrie,
Patrick Devedjian. Il souhaite que chaque camp s’engage en signant
une charte d’ici à la fin de l’année, sur le même
modèle que celle signée en juillet dernier entre FAI
et industrie musicale. Des discussions ont déjà eu lieu entre
les deux industries; elles vont se poursuivre dans les semaines à
venir.
«La technologie du "peer-to-peer" n’a en elle-même
aucun caractère illicite», a-t-il rappelé, «l’entraver
n’est de mon point de vue ni possible, ni souhaitable». Le ministre
attend toutefois encore les conclusions des experts nommés pour déterminer
la faisabilité d’un filtrage de ces réseaux.
«Il est crucial de ne pas répéter les mêmes erreurs
[que l’industrie musicale], qui a attendu quasiment deux ans», a
renchérit Marie-Christine Levet. «Il est nécessaire d’être
au point d’ici la rentrée 2005, au moment de la généralisation
du très haut débit». Selon elle, lutter contre la contrefaçon
en ligne doit s’orchestrer par une collaboration entre les deux industries
sur les trois mêmes axes: pédagogie, répression et développement
d’une offre légale. Comment respecter la chronologie des médias?
Pour Patrick Devedjian, l’industrie du cinéma doit en priorité
«construire sa propre offre légale, notamment en plaçant
la vidéo
à la demande (VOD) suffisamment haut dans la chronologie des médias». Une
déclaration qui a provoqué un tollé, car la mise en place
d'une telle offre s’annonce compliquée. La question cruciale
est de savoir où et à quel prix placer la VOD entre les sorties
au cinéma, en location, à la vente, et les diffusions à
la télévision, c'est-à-dire dans cette fameuse chronologie
des médias.
Ces propos ont eu le don de faire sortir de ses gonds Alain Susfeld, président
de la Procirep (*) et directeur général d’UGC.
«Il ne peut pas y avoir d’offre payante attractive tant qu’il
y a une offre gratuite!», a-t-il martelé, «c’est le
b a-ba». Et de relancer la polémique sur le rôle des FAI:
«Ils doivent contribuer à la difficulté des téléchargements
[illicites], et nous en contrepartie, nous devons faire évoluer notre
modèle.»
Plutôt qu’une répression ciblée uniquement sur les
quelques internautes qui mettent le plus grand nombre de fichiers à disposition,
Alain Susfeld plaide pour une graduation des sanctions pour atteindre le
plus grand nombre. En débutant par de simples amendes, suivi d'une coupure
de l’accès, pour finir par un procès pour les cas les plus
graves. «C’est comme pour les voitures, il devrait y avoir de grandes
et de petites infractions.» Les FAI prêts pour les offres légales
Face à ces attaques, les fournisseurs d’accès ont refusé
de passer à nouveau pour les boucs émissaires de services. «Je
suis déçu», a déclaré Michaël Boukobza
à l’attention des professionnels. «Nous arrivons en vous
disant que nous avons cinq millions de nouveaux clients potentiels, qu’il
n’y a pas d’obstacle technique pour sécuriser les contenus,
qu’il y a une demande de la part de nos abonnés et la réponse
est "attendons".»
«Il existe déjà une offre légale», poursuit
de son côté Marie-Christine Levet, «avec Movisystem, racheté
récemment par Canal Plus». Mais selon elle, le problème
de cette offre est que le catalogue est trop pauvre. Et de rappeler que sa maison
mère allemande, T-Online, propose déjà de la vidéo
à la demande à ses abonnés haut débit grâce
à des accords avec les studios américains. «Je suis navrée
de ne pouvoir proposer des offres en français à mes propres abonnés»,
a-t-elle conclu.
(*) La Procirep est la société civile pour la perception et répartition
des droits de représentation publique des films cinématographiques.